
Xavier Despas est sound designer pour Quantic Dream, historique développeur français de jeux vidéo responsable de titres majeurs tels que Beyond: Two Souls (2013), « Heavy Rain » (2010) ou encore « Fahrenheit » (2005). En 1999, le studio parisien sort son premier titre « Omikron: Nomad Soul », un jeu très immersif, « open-world » à l’ambiance « Cyberpunk » et très artistique, qui deviendra source d’inspiration pour de futurs classiques tels que le très récent « Cyperpunk 2077 ».
Rencontre avec Xavier Despas, plus de 20 ans après la création de la bande originale de ce jeu vidéo fondateur, un entretien sur lequel il revient sur son travail sonore et notamment sa collaboration avec David Bowie et son guitariste Reeves Gabrels. Bowie et son groupe de l’époque apparaissent d’ailleurs comme des personnages du jeu, évoluant dans cet univers futuriste et sombre inspiré notamment du « 1984 » de George Orwell.
Pouvez-vous nous parler du projet Nomad Soul et comment vous avez intégré l’équipe de production de ce jeu à l’époque ?
Pour commencer, j’ai rencontré David Cage lors d’un stage pendant ma formation de technicien son, à ce moment-là David avait son propre studio de musique et avait comme projet de faire un jeu vidéo, qui deviendra par la suite, Omikron, the Nomad soul. Durant ce stage où déjà une petite équipe travaillait sur un prototype, j’ai pu commencer à faire des recherches audios liées au concept du jeu. Je me suis très vite investi, l’univers de ce jeu me semblait être une véritable opportunité en termes de création sonore. Quelques mois plus tard, David ayant trouvé in extremis un éditeur (Eidos Interactive), il reprit contact avec moi et me proposa de partager l’aventure.

« Travailler avec David Bowie? Un homme courtois, curieux et avec beaucoup d’humanité et de respect »
Xavier Despas
Pour la réalisation du sound design de ce jeu, vous avez travaillé en collaboration avec David Bowie et Reeves Gabrels. Comment s’est déroulé la première rencontre avec eux. Quelle a été votre impression?
En fait, David Bowie a surtout créé l’univers musical du jeu avec l’album Hours, j’ai pour ma part un peu plus collaboré avec Reeves Gabrels. Avant tout je dois préciser que je ne suis pas musicien, je suis autodidacte, ce qui m’a peut-être permis d’avoir moins de limitation dans mes recherches, J’avais dans l’idée de créer un mélange sonore entre électro ethno et univers abstrait. J’ai du même envoyer une démo à David Bowie, qui visiblement l’a écoutée et appréciée. Notre première rencontre fut brève mais intense et émotionnellement forte. Il a pris le temps de visiter le studio son dans lequel je travaillais au sein de Quantic Dream. Nous avons un peu échangé sur la manière dont je travaillais, homme courtois, curieux et avec beaucoup d’humanité et de respect. Je n’oublierais jamais ce moment magique. Ensuite avec Reeves Gabrels la collaboration fut très intéressante d’un point de vue création sonore, il m’a beaucoup aidé à me lâcher sur le processus de création sonore, il m’a encouragé à aller plus loin dans ma démarche.
Le deuxième moment fort fut lors de l’enregistrement de la voix de David Bowie dans un petit studio à la goutte d’or à Paris. Bowie en train de nous raconter des anecdotes et faisant le pitre en imitant Sid Vicious, Coco son assistante et amie dévouée faisant le tri des personnes susceptibles de rester pendant le tournage, même le patron du studio ne pouvait pas être présent. Finalement juste 5 personnes présentes. Inutile de vous dire que la performance d’acteur reste incroyable et juste.

Comment pouvez-vous décrire le travail que vous avez réalisé sur le jeu en matière de sound design, et votre collaboration avec Bowie/Gabrels?
Comme je vous l’ai dit, sans formation musicale, ni préjugé sur comment faire de la musique je me suis senti libre d’explorer et tenter des choses. David Cage étant lui-même musicien m’a beaucoup aidé et encouragé. Gabrels m’a donné la dernière impulsion créatrice. J’ai beaucoup mélangé des samples d’origine ethnique, Inde, Afrique, orient, avec des sons beaucoup plus « électro », et aussi des cordes, piano, guitare, voix, etc…Le résultat par moment se trouve à la frontière de la musique et de l’ambiance.
Comment avez-vous vécu le très grand succès du jeu à l’époque? Un jeu assez novateur qui a marqué le début d’une nouvelle ère également…
Sur le moment, je ne me rendais pas vraiment compte de ce qu’il se passait, difficile de garder la tête froide après une telle expérience. Cela dit, l’expérience fut autant humaine que professionnelle, il y avait de l’humilité dans le partage et le travail en commun, un jeu ce sont des gens passionnants et passionnés. Beaucoup de fierté et conscient d’avoir eu énormément de chance.
Avez-vous rejoué au jeu récemment, qu’en pensez-vous aujourd’hui ? Que pensez-vous également du travail sonore que vous avez réalisé à l’époque ?
Pas rejoué, mais réécouté certains passages plus musicaux, j’avoue que certaines tracks me paraissent avoir pas mal vieilli, mais globalement je trouve que l’ambiance générale du jeu fonctionne bien, je pense avoir fait quelques choses d’assez surprenant et libre dans la démarche.
Propos recueillis par Laurent Rieppi – avril 2021